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Jour de solstice

 

​

Un rayon mort dans les ténèbres ;

les offrandes sur l'Intiwatana 

qu'un soudain et mortel éclair zèbre,

puis le soleil nouveau paraît ,

sculptant le trapèze d'or.

Dans la vallée,

coulent les sueurs de la forêt

sous le lourd soleil voilé,

en maints ruisselets ;

il coule des lianes

une féerie de cristal ;

des cascades au bout des palmes

le jour est végétal

d'une verdeur diaphane ;

symphonie létale

dans le clair-obscur

odorant de fruits mûrs

où s'ouvrent mille pétales ;

de vertes orchidées offrent leurs lèvres livides

au baiser bleu et froid du scarabée ;

les yeux dorés fixent le vide

la lune y est tombée ;

de pâles libellules froissent

la nuit épaisse et sombre

un oiseau noir se fond dans l'ombre

dans le halo que la faux y laisse .

L'Indienne sans bruit avance

dans le silence liquide qui mêle

aux cristaux d'or pâle ,ses larmes ,

et la Selva sensible,en pleurs, s'épanche

en larmes de géant suspendues aux branches .

Le soleil enfin perce les vitraux

de verte transparence ;

la forêt, chair et fibre, sève et sang,vibre;

des singes roux jouent à corde lisse ;

rires d'enfants que leur mère penche

sur l'abîme d'or vert en floral sacrifice :

de longs roseaux penchés sur le lac bleu

qui attendent la lune pâle ;

Issicha ferme les yeux.

La mort d'Atahualpa

 

 

 

Sur la mer voguaient des vaisseaux inconnus

Sayri Tupa avait lu en l'oiseau ce sinistre message :

le Soleil nous abandonne ,les huacas se sont tus,

tous les signes étaient de mauvais présages ;

 

ta mère Toute-la-Terre m’a visité en rêve,

dit Sayri Tupa à l'Inca;mon cher et unique seigneur

fils de notre père le Soleil, ton règne s'achève,

<<J’aime ce Pizarre, il sera vainqueur>>,

 

m’a-t-elle dit avant-hier dans un songe ;

Atahualpa qui désespère, écoute l'esprit,

les apus et les pierres,tout n'est que mensonge ;

mais la Terre parle encore dans la voix de Sayri ;

 

l'aigle vit le serpent lové contre son corps

crachant un noir venin, et l'augure semblait dire

voici venir la fin ;et l'Inca vit venir la mort

dans l'ombre du palais, éteignant son sourire;

 

Le rêve s'est brisé au jardin des fleurs d'or ;

sur l'autel profané on chantait des cantiques,

déjà les barbes rouges entraient dans le fort ,

précédés de centaures armés de piques.

 

Le lys a perdu sa blancheur,la source son mystère,

l'aile blessée du condor obscurcit le ciel,

c'est une sorte de nuit qui happe la cordillère,;

une conque au loin lance un dernier appel.

 

Atahualpa,trahi dans son propre palais,

cerné de cygnes noirs qui en déchirent l'or ;

le sang coule bientôt sous le ciel étoilé ;

quand ,épuisé, il va tomber,il entend le cor ,

 

dans la nuit, le vent, le cri des conques marines,

le choeur antique des montagnes reprennant en écho:

quel est cet arc- en- ciel noir à la flèche assassine ?

l'horrible rayon de l'ennemi du Cuzco .

 

L' arc-en-ciel noir alors, dans l'orbe s'est posé,

transformant la lumière en des pluies infécondes

qui noient la cordillère de létale rosée ;

un flot délétère au creux des gorges profondes .

 

Puis s'abat menaçante ,comme glas sur nos têtes,

une grêle sinistre qui martèle les eaux ,

les moissons de blé d'or et l'azur sur les crêtes,

l'herbe bleue qui blanchit dans l'ombre des roseaux .

 

L'empire s'est éteint ,grand soleil finissant

dans les yeux de l'Inca qui cache sa peine,

bravant les casques d'or ,où ruisselle le sang

d'un dernier soleil qui descend dans l'arène.

 

Le vent porte une rumeur vers la citadelle ;

l'harmonie cosmique est devenue chaos

sans son médiateur, le peuple doute et chancelle ;

la foudre s'abat sur les tours de Cuzco .

 

Le maïs a brûlé et la terre a faim ;

sans l'Inca disparaît le soleil qui se perd,

quittant l'orbe dans une chute sans fin,

derrière l'horizon,il sombre en la mer.

 

Ils attendront toujours le retour d'Inkarri ;

une vieille légende où gronde sa voix ,

tout près des wakas où rêgnent les esprits,

près de Tupac Amaru et Wiracocha .

 

Le son des syrinx fait vibrer le village  ;

danses étranges qui miment le combat,

défilé des Apus venus du fond des âges,

le Condor saisit dans ses serres, l'Anaconda ;

 

puis un taureau terrassé par l'oiseau austère,

fait jaillir son sang au cœur de la foule ;

il monte du sol d'anciens chants de la terre,

le souffle d'Inkarri dans le sang qui coule,

 

l'Indien est sorti enfin du mystère

qui a dormi longtemps au fond de son cœur,

et dans les replis cachés de la cordillère ;

il est devenu conquérant et ultime vainqueur.

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